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5 novembre 2025

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Et le temps nous a trouvés

© IA

Juillet 1970, à Namur, la foire bat son plein dans le centre-ville. Les odeurs de barbe à papa et de croustillons se mêlent aux éclats de rire. Dans un petit magasin de farces et attrapes, rue Saint-Nicolas, Julie, silhouette mince, gestes discrets, range des coussins péteurs et des paires de lunettes à ressorts.

Timide, elle préfère l’ombre au tumulte, mais ce soir-là, sur l’insistance de son amie, Natacha, elle accepte de boire un verre dans un café voisin. Quand elle pousse la porte, une voix s’élève du juke-box : « Adieu jolie Candy », de Jean-François Michael. Le hasard place Jean-Marie à la table voisine. Il revient tout juste d’Amérique du Sud, service militaire terminé, peau dorée par le soleil chilien. Elle le remarque aussitôt, intriguée. Lui la reconnaît. Il l’a déjà vue derrière la vitrine du magasin, sans jamais oser entrer. Cette fois, il lui sourit. Elle baisse les yeux. Ils parlent peu. L’un écoute, l’autre cherche ses mots. Jean-Marie habite à Saint-Servais. Les jours suivants, il vient l’attendre à la sortie de la boutique, toujours à vélo. Peu à peu, les rencontres deviennent habitudes. Ils flânent sur les quais de la Sambre, se partagent des cornets de frites, s’écrivent quelques mots quand le travail les éloigne. Julie se surprend à rire de ses plaisanteries, tandis que Jean-Marie s’attendrit devant sa réserve. Le 31 mars 1970, ils se marient en petit comité à Namur. Une cérémonie simple, à leur image. Pas de robe clinquante, juste la sincérité d’un engagement. La vie s’installe, entre les murs d’une maison à Falisolle. Deux garçons viennent bientôt remplir les pièces de cris et de jouets. Les années défilent, rythmées par des hauts et des bas : des disputes pour un rien, des silences qui s’éternisent, mais toujours ce fil discret qui les relie. Jean-Marie change de voie et finit par travailler aux urgences d’un hôpital à Namur, tandis que Julie  devient femme au foyer. Leur amour évolue, moins démonstratif, mais ancré, solide dans les gestes du quotidien. En novembre 2020, Jean-Marie contracte le coronavirus. En quelques jours, tout vacille. Julie, elle aussi contaminée, est hospitalisée dans la même chambre. Couchée non loin de lui, elle assiste, impuissante, à ses derniers souffles. Il s’éteint devant ses yeux, sans un mot de trop, comme à son habitude. Depuis, elle avance doucement, portée par le souvenir d’un juke-box, et le sourire d’un garçon bronzé qui, un soir d’été, avait bouleversé sa vie.

Fabian FALQUE

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